CHOLET
Voté par l’Assemblée Nationale en seconde lecture le 15 mars 2019, il a définitivement été adopté par le Parlement le 11 avril 2019. Le Conseil Constitutionnel a confirmé la conformité à la constitution des dispositions. Par conséquent, la loi PACTE a été promulguée le 22 mai 2019 et publiée au Journal Officiel le 23 mai 2019 pour entrer en vigueur le lendemain.
Comportant au total 221 articles, la loi PACTE contient majoritairement et spécialement des dispositions intéressant le droit des sociétés lesquelles démontrent une volonté d’améliorer et de diversifier le financement de toutes les entreprises quelles qu’en soient la forme et la dimension afin de les rendre plus justes, plus libres et plus innovantes en les sensibilisant notamment aux enjeux sociaux et environnementaux.
Il s’agit de mesures destinées à modifier la vision même de l’entreprise.
Une société doit désormais poursuivre une triple mission : sociale, environnementale et économique.
Pour ne pas se livrer à une énumération de toutes les évolutions proposées par la loi PACTE, il a été choisi de ne présenter que celles présentant un impact significatif sur l’ingénierie sociétaire pratiquée le plus couramment par le notariat. La double modification du Code civil à travers ses articles 1833 et 1835 pour introduire les notions d’intérêt social, d’enjeux sociaux et environnementaux et celle de raison d’être semble être à cet égard significative et a déjà suscité beaucoup d’interrogations de la doctrine.
Le premier alinéa de l’article 1833 du Code Civil dispose toujours que « toute société doit avoir un objet licite et être constituée dans l’intérêt commun des associés ». La nouveauté réside dans l’ajout d’un alinéa deux selon lequel « la société est gérée dans son intérêt social ».
Coexistent désormais deux notions proches et complémentaires, celle d’intérêt commun des associés (1er alinéa) et celle d’intérêt social (2e alinéa).
Le premier alinéa de l’article 1833 du Code civil, maintenu, traduit l’idée classique selon laquelle la société est constituée par des associés dans un intérêt qui, dépassant celui de chacun, est commun à tous. Cet intérêt commun n’est pas toujours aisé à déterminer, notamment en présence de divergence d’intérêts d’associés, par exemple lorsque certains désirent retirer un bénéfice à court terme quand d’autres poursuivent un désir de maintien d’activité à long terme.
Bien que non définies légalement, ces notions « d’intérêt commun » et « d’intérêt social » tiennent une place certaine dans le contentieux sociétaire puisqu’elles sont utilisées comme repères pour encadrer respectivement le vote des associés et l’action des dirigeants sociaux, qui ne sont supposés engager la société que dans des opérations conformes à son intérêt et prendre des décisions de gestion le respectant. L’intérêt social permet avant tout de définir la faute de gestion susceptible d’engager la responsabilité des dirigeants à l’égard des associés ou de la société et de trancher les conflits entre associés, pour apprécier l’existence d’un abus (de majorité ou de minorité).
Ainsi, en se limitant à consacrer la notion d’intérêt social sans la définir, la loi PACTE prend ses précautions et le législateur doit continuer à s’en remettre à la jurisprudence. Cette abstention était souhaitable puisqu’il n’existe pas d’intérêt qui soit le même pour toutes les sociétés, qui perdure en tout temps et en toutes circonstances.
Les gérants doivent désormais respecter l’intérêt social en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de leur activité. L’ambition des personnes qui s’associent ne doit pas être limitée au partage des bénéfices.
Il est possible qu’en pratique la combinaison des deux notions que sont l’intérêt social et la prise en compte des enjeux sociaux et environnementaux puisse générer quelques difficultés.
A titre d’exemple, la décision de mise aux normes environnementales peut s’avérer désavantageuse pour une société qui dispose de peu de moyen financier dans la mesure où son coût s’avère très souvent exorbitant.
C’est pourquoi une lecture littérale de l’article 1833 du Code Civil est préférable puisqu’elle invite à une simple « prise en considération » des enjeux sociaux et environnementaux. Ainsi, le dirigeant ne sera pas autorisé à se fonder sur des considérations d’ordre social ou environnemental pour prendre une décision contraire à l’intérêt social.
Une troisième évolution notable apportée par la loi PACTE se traduit par la modification de l’article 1835 du Code Civil lequel prévoit désormais que « les statuts peuvent préciser une raison d’être, constituée des principes dont la société se dote et pour le respect desquels elle entend affecter des moyens dans la réalisation de son activité ».
La notion de raison d’être, bien que difficile à cerner, est importante à appréhender puisqu’elle permet d’identifier ce pour quoi la société a été créée et d’expliciter clairement sa stratégie, ses objectifs et sa vision pour l’avenir.
Elle doit s’entendre de la vocation particulière de l’entreprise et qui se décline, dans cette logique, par un ensemble de principes visant à guider et inspirer son management ainsi que toutes les parties qui prennent part à son activité.
Dans son avis rendu à propos de la loi PACTE, le Conseil d’État a défini la raison d’être de la société comme « un dessein, une ambition, ou toute autre considération générale tendant à l’affirmation de valeurs ou de préoccupations de long terme ».
Le concept n’est pas très familier au juriste et relève plus d’une approche philosophique que technique.
D’ailleurs, on peut être tenté de se demander si définir une raison d’être de la société ne présente pas pour elle plus d’inconvénients que d’avantages.
En réalité cet exercice relève désormais de l’essence même de la stratégie d’entreprise et est déjà mis en œuvre par de grands groupes. Généralement, il s’agit plus de communiquer, d’envoyer un signal sur les valeurs et principes de la société au-delà des préoccupations financières et améliorer ainsi son attraction envers tous les partenaires que ce soient les clients, les collaborateurs, les financiers etc…
Néanmoins, la rédaction doit être effectuée avec précaution puisque les entreprises qui auront fait le choix d’inscrire leur raison d’être dans leurs statuts devront s’y conformer scrupuleusement. De ce fait, l’adoption d’une raison d’être trop restrictive pourrait leur être défavorable dans la mesure où elle aurait pour conséquence d’amoindrir leur capacité à innover et à s’adapter à un marché en constante évolution. A l’inverse, une raison d’être trop extensive pourrait se révéler inutile.
A titre d’exemple, les statuts de CARREFOUR précisent que leur raison d’être consiste à « proposer à leurs clients des services, des produits et une alimentation de qualité et accessible à tous à travers l’ensemble des canaux de distribution. Grâce à la compétence de nos collaborateurs, à une démarche responsable et pluriculturelle, à notre ancrage dans les territoires et à notre capacité d’adaptation aux modes de production et de consommation, nous avons pour ambition d’être leader de la transition alimentaire pour tous ».
Il serait faux de penser que la formulation d’une raison d’être de la société n’aura pas de grande incidence technique et qu’une atteinte qui lui serait portée n’emporterait pas de conséquence juridique.
En effet, en cas de non-respect de la raison d’être de la société ayant fait l’objet d’une communication externe des sanctions pourraient être prises, à la demande de clients ou partenaires de la société sur le fondement de la publicité trompeuse, à la demande des salariés sur le fondement de l’engagement unilatéral de l’employeur faisant naître une attente légitime du salarié, à la demande d’un tiers sur le fondement de la violation des dispositions statutaires et enfin à la demande d’un associé sur le fondement d’une action en responsabilité initiée à l’encontre du dirigeant.
Article rédigé par :
Flore VRIGNAUD,
Notaire à Cholet
et Sophie SCHILLER
Professeur à l’université Paris-Dauphine